GIROND, hameau de charme, Ardèche (France)
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Savoir:   la vallée des tuiliers
 















Gabriel Lacour a livré un témoignage passionnant sur sur sa vie, quasiment en totalité à Girond, hormis 4 années consacrées à la Grande guerre. Il a extrait de l’argile et fabriqué des tuiles, avant de partir pour Verdun. Nous avons eu la chance de le connaître à la fin des années 70. Ses souvenirs ont alimenté en grande partie ce qui suit.



L’histoire

La région des Boutières est très escarpée. Le relief, relativement récent (voir la géologie), a provoqué une érosion très importante qui se poursuit encore aujourd’hui et les bassins sédimentaires sont rares. Le gisement d’argile de Cornuscle a donc revêtu une grande importance, jusqu’à l’apparition des transports mécanisés à bas coût qui ont fait jouer la concurrence. Nos anciens ont dû le repérer depuis des temps immémoriaux pour faire de la poterie, des briques et des tuiles. Les Boutiérois revêtent leurs toits de tuiles, à l’inverse de leurs voisins du plateau qui ont des lauzes … mais pas d’argile. Les toits en lauzes sont magnifiques mais requièrent des charpentes complètement surdimensionnées par rapport à celles qui supportent des tuiles. Dit en d’autres termes, s’il y a le choix, les tuiles sont préférées.

Les premières mentions de tuileries dans la vallée au-dessus du Pont de Fromentières remontent à la fin du 17ème siècle, mais il est probable qu’il y en ait eu avant : les Romains en ont généralisé l'emploi dans tout l'empire et donc en Gaule.


Dans la vallée, l'industrie des tuiles a eu son âge d'or entre le milieu du 19ème siècle et le début de la guerre de 14, soit environ 75ans.
La production artisanale de tuiles dans la vallée a perduré jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, victime du manque de bras, de la concurrence des tuileries industrielles et de la baisse des coûts de transport. La dernière tuilerie artisanale de la vallée a définitivement cessé son exploitation en 1921 à Ribefaite. A Girond, on sait que  le four à tuiles a remplacé une teinturerie à partir de 1850 et qu'il était écroulé en 1920.
Il y a pourtant eu jusqu’à 8 fours à tuile dans la vallée, sans compter la tuilerie semi-industrielle du Pont de Fromentières qui a fonctionné à partir du 19ème siècle jusque dans les années 1930.



La tuilerie du Pont de Fromentières  (Illustration A.Debrot)

L’extraction de l’argile

L'argile se trouve à Cornuscle à près de 1000m d’altitude. Le gisement s’étend sur 300m de long, 80 m de large et 7 mètres d’épaisseur. Il affleure à quelques endroits, mais la plus grande partie se trouve à partir de 2 m de profondeur.

L’extraction se faisait en creusant des puits. Il fallait donc tout d’abord enlever les 2m de terre inutile, puis creuser jusqu’à presque 10m de profondeur. 2 ou 3 familles exploitaient ensemble un puits. Comme la pluie rendait le puits inutilisable, il fallait aller très vite. On y descendait, munis de pelles, pioches et paniers, à l’aide d’échelles et tout le travail y compris la remontée de l’argile se faisait à la main.

Une fois l’argile extraite, le puits était rebouché avec tous les déblais et un autre était creusé. L’argile était payée au propriétaire du terrain, puis transportée jusqu’au four à dos de mulet. Dans les dernières années d’exploitation, la nouvelle route a permis d’utiliser des tombereaux.

Illustration A. Debrot

La préparation de l'argile et la fabrication des tuiles


L'homogénéisation du mélange eau/argile était réalisé avec une pelle en bois, alternée avec un sabrage, opération épuisante qui consistait à frapper sans relache l'argile avec un sabre en fer. On ajoutait à nouveau de l’eau, puis on recommençait le mélange et le sabrage. L’opération était répétée jusqu’à ce que l’argile soit parfaitement homogène et à la bonne consistance. Ce travail était très pénible.





Pelle
Sabre
Forme Forme tuile faitière

Ces outils ont été utilisés à Girond et y sont précieusement conservés.




Illustration A. Debrot


La fabrication des tuiles était entièrement manuelle, telle que décrite ci-dessous. Les photos sont extraites d’une vidéo https://www.youtube.com/watch?v=brVQH-pI7nk, reportage de France Bleu sur la fabrication de tuiles artisanales par Gérard Bertrand à Doissin (Isère).



Préparation du gabarit



Bourrage du gabarit



Lissage de la tuile


La tuile est prête à être formée.


Opération très délicate, le transfert du gabarit vers la forme.



Ca y est presque...


Et voilà, il ne reste plus qu'à laisser sécher.


Le formage des tuiles sur les cuisses des belles tuilières est une légende : quand on voit avec quelle précaution la tuile est ôtée de la forme, comment ferait la belle tuilière pour le faire sans déformer la tuile encore très molle ?


Le four

Le four se trouvait, comme le dit Gabriel « en face de la maison d’école ». Sur cette aire plate (maintenant le parking) se trouvaient également les cabanes où les tuiles étaient mises à sécher. Toutes les familles de Girond, à l’exception des Teyssier qui préféraient « menuiser », fabriquaient leurs tuiles, mais il n’y avait qu’un seul four pour tout le village.




Nous n’avons aucune illustration du four de Girond, mais tous les fours artisanaux de l’époque avaient à peu près le même plan.

Le four pouvait cuire simultanément 6 000 tuiles. Chaque famille identifiait son lot en signant quelques tuiles des ses initiales.
Le four était alimenté avec du bois, il en fallait 150 quintaux (110 une fois sec) par fournée. Les frênes et les châtaigniers étaient les essences utilisées, le frêne car il chauffait fort et le châtaigner (surtout les racines) car il durait longtemps et sa chauffe était régulière. Les racines étaient arrachées, le bois coupé et transporté à dos de mulet pendant l’hiver.


Le remplissage du four commençait en début d’après-midi. Il fallait 5 à 6 hommes pour rentrer et disposer les 6 000 tuiles. L’opération était délicate car il fallait trouver le bon agencement pour que toutes les tuiles puissent être cuites correctement. Le four était ensuite muré.
La chauffe commençait le soir par le « petit feu ». A minuit, 200 kg de bois étaient mis dans le foyer, pour le « grand feu ».
Pas de thermomètre, la cuisson était appréciée au jugé et à l’expérience. Le seul indicateur était le raccourcissement des tuiles : elles perdaient 2 cm pendant la cuisson. Le lendemain soir la chauffe était arrêtée. Il ne restait plus qu’à prier que la fournée soit réussie et attendre que le four refroidisse.

La fortune des paysans ?


Dans la vidéo, Gabriel dit qu’une tuile était vendue un sou pièce. Il faut 20 sous pour faire un franc. Un franc de 1914 vaut un peu plus de 3€. Cela met la tuile à 15 centimes d’€. Aujourd’hui une tuile canal vaut à peu près 1 €.
Côté revenus, Gabriel annonce 3F par jour pour les tuiliers, soit pas loin de 10€, alors que le salaire du journalier n’est que de 20 sous (= 1 Franc). Mais comme il le dit si bien « on ne gagnait pas lourd ».


Le transport et la destination des tuiles



Illustration A.Debrot

Les tuiles de la vallée étaient vendues dans toute la région. Avant que le chemin de Girond au Pont de Fromentières ne soit transformé en route, le transport se faisait à dos de mulet. Les anciens se souvenaient que les transports  lointains commençaient les nuits de pleine lune, ce qui permettait de voir les chemins.

Des initiales sur une tuile trouvée à Saint Pierreville ont permis d’attester qu’elle provenait de Girond. Les tuiles ne voyageaient peut-être pas aussi loin que ne le pensait Gabriel Lacour, mais 40 km à dos de mulet, en passant par le col de Mézilhac, c’est déjà impressionnant !

Les dernières années, les tuiles étaient transportées à raison de deux voyages par jour jusqu’au Pont-de-Fromentières dans des tombereaux tirés par des vaches, puis elles rejoignaient leur destination par camion.

Sources et Remerciements

Mairie de Mariac et particulièrement Marcel Cotta (bulletin municipal de 2016 et transcription de la vidéo VHS)

Christian Laroche (outils et la conservation de la vidéo de Gabriel Lacour)

Gérard Bertrand (fabrication des tuiles)

Le Géopark des Monts d'ardèche et Val'Eyrieux

Alexandre Debrot pour ses magnifiques illustrations du géosite de la "vallée des tuiliers".