Tarass Boulba était un des vieux colonels. Créé pour les difficultés et les périls de la guerre, il se distinguait par la droiture dun caractère rude et entier. Linfluence des murs polonaises commençait à pénétrer parmi la noblesse petite-russienne. Beaucoup de seigneurs sadonnaient au luxe , avaient un nombreux domestique, des faucons, des meutes de chasse et donnaient des repas. Tout cela nétait pas selon le cur de Tarass ; il aimait la vie simple des cosaques et il se querella fréquemment avec ceux de ses camarades qui suivaient lexemple de Varsovie, les appelant esclaves des gentilshommes (pan) polonais. Toujours inquiet, mobile, entreprenant, il se regardait comme un des défenseurs naturels de lEglise russe ; il entrait, sans permission, dans tous les villages où lon se plaignait de loppression des intendants-fermiers et dune augmentation de taxe sur les feux. Là, au milieu des cosaques, il jugeait les plaintes. Il sétait fait une règle davoir, dans trois cas, recours à son sabre : quand les intendants ne montraient pas de déférence envers les anciens et ne leur ôtaient pas le bonnet, quand on se moquait de la religion ou des vieilles coutumes et quand il était en présence des ennemis, cest à dire des Turcs ou païens, contre lesquels il se croyait toujours en droit de tirer le fer pour la plus grande gloire de la chrétienté. Maintenant il se réjouissait davance du plaisir de mener lui-même ses deux fils à la setch, de dire avec orgueil : " voyez quels gaillards je vous amène "
Nicolas Vassilievitch Gogol (1809 1852)