Plus on avançait dans la steppe, plus elle devenait sauvage et belle. A cette époque, tout lespace qui se nomme maintenant la Nouvelle-Russie, de lUkraine à la mer noire, était un désert vierge et verdoyant. Jamais la charrue navait laissé de trace à travers les flots incommensurables de ses plantes sauvages. Les seuls chevaux libres qui se cachaient dans ces impénétrables abris, y laissaient des sentiers. Toute la surface de la terre semblait un océan de verdure dorée, quémaillaient mille autres couleurs. Parmi les tiges fines et sèches de la haute herbe, croissaient des masses de bleuets, aux nuances bleues, rouges et violettes. Le genêt dressait en lair sa pyramide de fleurs jaunes. Les petits pompons du trèfle blanc parsemaient lherbage sombre, et un épi de blé, apporté là Dieu sait doù, mûrissait solitaire. Sous lombre ténue des brins dherbe, glissaient en étendant le cou des perdrix à lagile corsage. Tout lair était rempli de mille chants doiseaux. Des éperviers planaient immobiles, en fouettant lair du bout de leurs ailes, et plongeant dans lherbe des regards avides. De loin, lon entendait les cris aigus dune troupe doies sauvages qui volaient, comme une épaisse nuée, sur quelque lac perdu dans limmensité des plaines. La mouette des steppes sélevait, dun mouvement cadencé, et se baignait voluptueusement dans les flots de lazur ; tantôt on ne la voyait plus que comme un point noir, tantôt elle resplendissait, blanche et brillante, aux rayons du soleil..Ô mes steppes, que vous êtes belles !
Nicolas Vassilievitch Gogol (1809 1852)