La chanson russe est semblable à leau dun barrage. On dirait quelle est arrêtée et ne bouge pas. Mais en profondeur, elle sécoule perpétuellement par les vannes et le calme de sa surface est trompeur.
Par tous les moyens possibles, par des
répétitions, des parallélismes, elle ralentit le déroulement du thème qui, à un
certain moment, se révèle brusquement, et nous frappe demblée. Une nostalgie
puissante, qui se retient et se domine, ne sexprime pas autrement. Cest une
folle tentative pour arrêter le temps avec des mots.
La Koubarikha chantait et récitait tour à tour :
Dans le vent, par le monde et par la blanche
neige
Fais-les rouler, bien loin, au pays bien-aimé,
Dans la dernière maison, à la lisière du bois,
A la dernière fenêtre, et jusque dans la chambre.
Une prisonnière est là cachée,
Ma désirée, ma tant-aimée,
Dis à loreille de ma bien-aimée
Une parole douce et brûlante,
Dis que je languis, loin en prison,
Pauvre soldat parti en guerre,
Et je mennuie loin du pays
Mais je men irai de lamère prison
Pour retrouver ma douce belle.
Boris Leonidovitch Pasternak (1890 1960)